mardi 27 février 2018

Le serpent du placard

Petite pièce  écrite il y a quelque années pour  quelqu'un dont c'est aujourd'hui l'anniversaire. 



Personnages:
Le Marchand de Sable  le père
Sa fille, Gigi, 29 ans maximum

Un type
Le Chevalier
Princess
Le gros serpent du placard





La scène se passe dans  la chambre d’une jeune fille.

Gigi, en pyjama  bleu  pilou , grimpe dans son lit. Son père rentre dans sa chambre. Il la borde
.
Le Marchand de Sable (en l’embrassant)
Allez, mon poussin, fais de beaux rêves.

Gigi : Bonne nuit Père ! (la voyant qui s’apprête à éteindre sa lampe de chevet) Oh, laisse la lumière allumée s’te plait, Père !... C’est à cause que si y a un gros serpent sous le lit.

Le Marchand de Sable : Gigi, combien de fois devrai-je te dire qu’il n’y a pas de gros serpent sous ton lit ! (faisant mine d’inspecter sous le sommier) Tiens, tu peux vérifier, y a rien… à part des chats.

Gigi (intrigué)
Des chats ?

Des miaulements assourdissent la pièce. Un grand type entre dans la chambre, en tenue de chat botté. Il tient à la main un aspirateur vertical  de couleur verte.

Le Marchand de Sable (l’apostrophant, les bras tendu)
Et  vous ,vous êtes qui, ?

Le type
Je suis le chat botté ! Je récupère  mon troupeau.

Il enclenche l’aspirateur.  Le Marchand de Sable éteint l’appareil, et pousse le chat botté vers la porte.

Le Marchand de Sable
Vous ramasserez vos animaux  une autre fois, ma fille doit dormir.

Le Marchand de Sable retourne auprès de sa fille. Il lui éteint la lumière.

Le Marchand de Sable
Gigi, tu as 29 ans, tu es une grande fille maintenant. Et les grandes filles n’ont plus peur du noir ! Que diraient tes petits copains s’ils savaient que tu laisses la lumière quand tu dors?



Gigi
Ils me diraient que c’est du gaspillage et que ta facture d’électricité va encore augmenter.


Le Marchand de Sable
Allez, il faut dormir.

 Le Marchand de Sable sort de la chambre. Sa fille le rappelle au bout de quelques secondes.

Gigi
Père ! Père !

Le Marchand de Sable (en rouvrant la porte)
Quoi ?

Gigi
T’as pas vérifié dans l’armoire ! Peut être que le gros serpent y s’est caché dedans !

Le Marchand de Sable (dans un soupir)
Y a rien du tout, Gigi. Et de toute manière, y aurait pas assez de place pour lui à l’intérieur.

Gigi
La dame toute nue qui était ici la semaine dernière , elle avait bien réussi à se caler dans le dressing. Il est pourtant pas grand le dressing !

Le Marchand de Sable
C’est pas la même chose…

Des coups sont frappés depuis l’intérieur de l’armoire

Gigi (en disparaissant sous les draps)
Le gros serpent !



Les coups redoublent de violence.  Le Marchand de Sable s’approche de l’armoire. Il prend un manche à balai, ouvre la porte, jambes fléchies, poings serrés, prêt au combat. Un gros serpent sort de l’armoire, comme un diable de sa boîte. Mais en fait de gros serpent, il s’agit plutôt d’une imitation en carton pâte sorties d'une vieille séries en noir et blanc. Ca évoque vaguement l’aspect de Godzilla, en un peu plus petit.


Gros serpent
Raaaaahannn !

Le Marchand de Sable (pas impressionné pour un sou)
Qu’est ce que vous faites ici, vous ?

Gros serpent
(d’une voix caverneuse)
Je suis le gros serpent !

Le Marchand de Sable (méprisant) 

Vous êtes le gros serpent ?... Non mais vous vous êtes regardé rien que deux secondes dans une glace, mon gars ?

Gros serpent (surpris)
Non… en fait je n’ose pas… Je m’effraye  moi-même.

Le Marchand de Sable  (lâchant le manche à balai)

Y a que vous-même que vous devez effrayer, parce que, pardonnez moi d’être désagréable, mais vous m’avez l’air d’un de ces  zouaves !

Gros serpent (sur un ton dépité)
Ah bon ? Vous trouvez ?

Le Marchand de Sable
Ah je vous assure ! Demandez donc à ma fille. Gigi, tu peux sortir !

La "gamine" émerge la tête de la couette. Elle éclate de rire à la vue du gros serpent.

Gros serpent (avec une voix d’humain)
Bordel, j’ai encore fait un four…

Le Marchand de Sable (en lui posant une main sur l’épaule)
Vous savez, les enfants sont plus durs de nos jours. C’est fini ça, ça les impressionne plus ! Pensez, avec tout ce qu’on leur montre sur Internet !

Gros serpent
Je suis plus dans le coup, vous croyez?

Le Marchand de Sable
Disons qu’un total  relooking s’impose… Vous pouviez passer pour crédible dans les années 40, mais aujourd’hui… Vous faites peur aux jeunes filles, en général ?

Gros serpent (d’une voix désabusée)
Pour dire franchement, pas vraiment. Elles se foutent de moi… Hier midi, une m’a même frappé à coups de balayette. J’ai du me retrancher dans mon placard.

Le Marchand de Sable
Mon pauvre  ami

Gros serpent (moral à zéro)
Je peux aller dans votre cuisine boire un verre d’eau du robinet ?

Le Marchand de Sable
Allez y , allez y .

Le gros serpent disparait.

Le Marchand de Sable (à sa fille, sur un ton de reproche)
Quand même, t’aurais pu faire semblant d’avoir la trouille. Tu  as blessé son estime de soi, sur ce coup-là.


Gigi

  Quoi ? Il est ringard, il fallait bien qu’on lui apprenne la vérité un jour ou l’autre!

Le Marchand de Sable
Bon, allez, il est déjà tard. Maintenant, tu dors.

Le Marchand de Sable sort.


Gigi
Père ! Père !

Le Marchand de Sable (perdant patience)
Bon, ça va bien maintenant ! Qu’est ce qu’il y a encore ?

Gigi
J’veux que tu me racontes une histoire !

Le Marchand de Sable
J’en connais pas, dors !

Gigi
Quand c’est  maman qui me garde, elle m’en raconte des histoires. Ell est très forte pour les histoires !

Le Marchand de Sable (intérieurement)
Ah c’est sûr que pour ça elle est très forte … Bon, une histoire, mais pas pendant des heures, hein ?

Au hasard ,il  prend un livre  sur une étagère.

Le Marchand de Sable (en feuilletant)
Bon, qu’est ce que je vais bien pouvoir…Ah, tiens, Blanche Neige, tu vas adorer



Gigi
Je connais… Cherche pas, toutes celle du bouquin je les connais par cœur depuis au moins 10 ans… Va falloir que t’inventes (voyant  Le Marchand de Sable sortir son portable) Tu fais quoi ?

Le Marchand de Sable
La Mère Castor…. J’appelle….Tu crois qu’elle est au lit à cette heure là ?

Gigi (encourageant)
Allez, je suis sûr que t’es capable d’inventer des trucs!

La Le Marchand de Sable s’assoit sur un coin du lit, et tente d’improviser.

Le Marchand de Sable
Bon, alors il était une fois… un beau chevalier… amoureux d’une belle princesse.

Gigi (soupirant)
Encore…

Le Marchand de Sable
Quoi encore ?

Gigi
Ca commence toujours pareil!

Le Marchand de Sable (s’emportant)
Oui alors que ça soit bien clair, ton  père ne peut pas réinventer le conte de fées, comme ça, en 2 minutes  chrono! Dans les contes y a toujours un chevalier sur son beau cheval blanc. Toujours !

Gigi
Pourquoi un cheval, pourquoi pas une voiture ou  une soucoupe volante?

Le Marchand de Sable
Parce qu’il a pas passé le permis pour !

  Le Marchand de Sable se lève pour raconter. Elle  fait des allers retours entre la porte et le lit, s’aide en parlant avec les mains.

Le Marchand de Sable
Voilà, donc, ce beau Chevalier qui vivait dans un lointain et magnifique royaume, aimait une belle  Princesse.

Gigi
Comment, la princesse ?

Le Marchand de Sable
Quoi comment ? Belle, j’ai dit.

Gigi
Oui mais belle comment ?

Le Marchand de Sable
Belle, belle, comme… (hésitant) Esmeralda de Notre Dame de Paris. Imagine Claudia Schiffer

 (cherchant autre chose)
Ou si tu préfères, belle comme la  fille la plus mignonne du lycée..

Gigi
Comme Christine ? Wouah !

Le Marchand de Sable
Voilà… Donc, le chevalier était fou amoureux d’elle mais ne savait comment lui faire savoir. Or, un beau jour, la princesse se fît enlever par un horrible dragon.

Gigi
Pourquoi il l’enlève ?

Le Marchand de Sable
Pourquoi ? Je sais pas, moi… il voulait lui déclarer sa flamme, ce dragon.

Gigi
C’est complètement nul !

Le Marchand de Sable
Tu m’en poses des questions aussi ! Tu crois qu’il se demande pourquoi il fait ça le dragon ? C’est pas fute -fute, un dragon, t’as déjà entendu parler d’un dragon qui réfléchit avant d’agir? Alors tu me laisses finir sans me couper la parole… Alors, ou que j’en étais resté ?... Ah oui, alors le roi, plein de chagrin, promît la main de sa fille à celui qui saurait la délivrer. D’un coup, le chevalier enfourcha son destrier afin d’aller sa sauver sa chère et tendre…

Un homme vêtu en Chevalier entre dans la chambre. Il se tient debout comme s’il avait une revendication à exprimer.

Chevalier : Cette manie de toujours vouloir faire dans le spectaculaire. Un dragon ! On voit bien que c’est pas vous qui vous tapez le boulot!

Le Marchand de Sable (sur un ton sec)
Qui vous autorise à  entrer, vous?

Chevalier
C’est vous qui m’avez fait entrer, je vous signale, dans  cette histoire le chevalier, c’est moi! (sur un ton plus conciliant) Si vous me permettez une objection, le dragon, c’est un peu… trop… Vous auriez rien de moins imposant?

Le Marchand de Sable


Ma fille aime les dragons, donc j’ai décidé que c’en serait un. Maintenant, si vous avez la pétoche, je  ne vous retiens pas. La sortie,c’est par là….

Chevalier
Non mais, j’ai pas peur, seulement… (se renseignant) Il est gros comment ce lézard ?

Le Marchand de Sable
Comme un petit immeuble, et il crache des flammes d’un bon  kilomètre de long.

Gigi (passionnée)
Ouaaah !

Chevalier
Ca va pas, non ? Je me bat pas contre ce machin, moi, je veux pas finir en charbon de bois!

Le Marchand de Sable
Songez à votre bien-aimée ! Elle vous attend ! Volez donc un peu à son secours !

Chevalier (cherchant à gagner du temps)
Ca va, y a pas le feu au lac , non plus… Et puis, qui sait, en y mettant un peu du sien c’est possible qu’elle finisse par s’entendre avec lui ! C’est peut être pas un mauvais bougre ce dragon.

La princesse de l’histoire fait irruption en furie dans la chambre

Elle porte un collier en vermeil avec son prénom gravé sur un pendentif : Princess.

Princess
Et ça se prétend  preux chevalier ! Mangeur de yaourt ! Couille molle, oui !

Gigi
C’est elle la princesse? Ben je préfère Christine !

(la princesse lui fait un bras d’honneur pour dire : je t’emmerde)

Chevalier (posant un genou à terre) Princesse, pardonnez moi cet instant de couardise, je ne suis qu’un homme après tout.

Le Marchand de Sable
Dites donc vous devriez pas être séquestrée par le dragon, vous ?

Princess
Je  ne l’ai toujours pas vu, votre lance-flammes.


(Le gros serpent du placard débarque dans la chambre. Il titube, bourré comme un Polonais, en tenant une canette de bière

Chevalier
Le dragon ! Ne tremble plus, ma beauté, je m’en vais de ce pas le pourfendre !

Il le transperce de sa brillante  épée. Le gros serpent s’écroule..

Chevalier (désignant fièrement la dépouille)

Alors, qu’est ce que tu dis de ça, princesse ? Ouachement  balèze, hein ?

Gigi
Eh ! Cest pas le dragon! Tu viens de refroidir  le gros serpent du placard !

Chevalier (en le regardant mieux)
Oh ?…Je me disais, je trouvais ça hyper trop facile aussi.

Le gros serpent n’est pas complètement mort, on le voit remuer et qui essaie de baragouiner d’inaudibles onomatopées

Le Marchand de Sable
Il vit encore !

Gros serpent (d’une voix caverneuse)
 Finissez moi ! Allez y, !De toute façon j’ai plus aucune raison de vivre, je suis un gros serpent raté…

Princesse
Oh, ce dragon est sous Prozac!

Gigi
C’est pas un dragon, c’est que le gros serpent qui habite dans le placard.

 Le Marchand de Sable va en cuisine puis revient, furibard..

Le Marchand de Sable (scandalisée)
J’y crois pas, il a vidé toute la Kro du frigo !...Ben, faudrait pas se gêner !

Le gros serpent réplique : il rote violemment.

Gigi
Bon, alors il est ou le dragon que tu m’avais promis qui mesurait 10 mètres de haut et qui cramait tout au passage ?

Princess
Je suis d’accord, je m’attendais à quelque chose de plus spectaculaire, quoi…A un triomphe dans la douleur… 

 Là, pas de sang, pas une blessure.(elle regarde de plus près) Même pas un bleu… Je suis extrêmement déçue

Chevalier (protestant de sa bonne foi)
Elle est carrée, celle là!... Ecoute, je vais te dire comme je vois les choses. On dira que je t’ai sauvée des griffes du gros serpent au prix d’un combat sans merci… Maintenant, direction le palais : on se marie et on fait une tripotée d’enfants.

Princess
Oui, mais non…Je veux pas de moutards… Et tout bien pesé, je ne veux pas de mari non plus. Je suis une femme indépendante… d’ailleurs, les filles , faut que je me casse… Y a une soirée nanas organisée chez une collègue, et je voudrais surtout pas rater le début..

Chevalier
Ah mais tu vas rester ici,toi! Les termes du contrat que j’ai passé avec mon employeur le Roi, qui est d’ailleurs ton père, stipulaient que mon travail était rémunéré selon la convention collective de la Chevalerie,  autrement dit que tu allais m’épouser qu’on allait être heureux et avoir plein d’enfants.

Princess (catégorique)
Mais moi tout ce que je vois, c’est qu’y a  de dragon nulle part… Terrasse un authentique dragon, en homme,  et on pourra peut-être en reparler.


Chevalier
Mais où tu veux que j’en trouve un à cette heure et en pleine cambrousse?

Princess
Ca c’est ton problème, mon prince … Allez , bonjour chez vous !

Chevalier
Attention, je vais traîner l’affaire aux prud’hommes ! Ca ne va pas se passer comme ça !

Le Marchand de Sable (gueulant)
Oh, oh ! Ca va bien, maintenant ce bordel ! Comment vous voulez que ma fille s’endorme ?

Princess (en s’approchant du lit)
Mais elle s’est endormie votre fille !

Gigi
Non mais continuez de hurler ça me berce… Ca me rappelle le bon temps quand Père et Mère  étaient ensemble et passaient leurs soirées à s'engueuler.

La princesse  s’en va. Le chevalier reste planté devant la porte, désemparé.

Chevalier (abattu)
Elle veut pas de moi… (s’adressant au Marchand de Sable) Il vous reste vraiment plus de  Kro?

Le Marchand de Sable
Non… Et à votre place, je me dépêcherais de lui ramener la tête d’un dragon. Ou à la  rigueur sa queue.

Chevalier
Je lui ramène que pouic, oui !... Je vais pas faire les 4 volontés d’une pétasse !... (hurlant) Son dragon elle peut se le foutre au derche , la salope!

Le Marchand de Sable
Oh, doucement avec votre langage, il y a une jeune fille  dans cette chambre !

Chevalier
Allez, je me casse… En venant j’ai  repéré plein de bistrots où se bourrer la tronche sans personne pour me faire chier…

Il referme la porte derrière eux, s’y adosse en soupirant de soulagement. Puis il se rappelle qu’il reste le gros serpent du placard.

Le Marchand de Sable
Qu’est ce que je vais faire de ce machin ?... Je vais le faire enfouir dans le parc.

Gros serpent (avec sa voix d’alcoolo)
J’suis pas mort, il m’a raté cet abruti…Je suis juste bourré. Si vous pouviez me ramener jusqu’à mon placard.

Le Marchand de Sable traîne la créature,  l’aide à se mettre debout et la rentre avec toutes les peines du monde dans son placard.

Gros serpent
Merci… Toi t’es un chic type .  Toi tu me comprends.

Le Marchand de Sable
Oui, oui, allez cuve bien.


  Il referme la porte du meuble. Elle se rouvre car le gros serpent a encore quelque chose à lui dire.

Gros serpent (d’une voix d’ivrogne)
Dis, j’y pense : c’est con que… Le placard il est un peu petit parce qu’autrement… Je t’aurais bien dit de rentrer cinq minutes, boire un coup tous les deux et après….

Le Marchand de Sable
C’est  trop généreux de ta part…mais le frigo est vide  (en refermant la porte) allez bonne nuit mon petit.

Le placard se rouvre.

Gros serpent
En fait, j’aimerais bien m’agrandir…Ici, je me sens vraiment à l’étroit… J’ai vu à louer une armoire lorraine, 4 m2, entièrement réaménagée par les architectes de France 5… Mais question pognon…

Le Marchand de Sable
Je te l’achèterai, maintenant, au pieu!

Il  referme la porte, qui se rouvre encore une fois.

Gros serpent
T’es vraiment un  chouette copain !

Le Marchand de Sable (gueulant)
Merdeeee, tu vas y rester dans ton bordel de placard !!

Gigi (réveillée)
C’est pas bien de dire des gros mots, Père

Le Marchand de Sable
Désolée, ton  père a perdu son calme…

Elle sort. Sa fille la rappelle.
 

 Gigi
-Père ?

Le Marchand de Sable (soupirant)
Quoi, Gigi ?

Gigi

Demain soir, tu me raconteras une autre histoire ?