L'homme est couché là, contre le mur, sur une vieille couverture bigarrée.
Dans la cave traine une légère odeur de sable humide et de vin bouchonné. Un
souffle de vent traverse l’air en provenance d’une porte entrou’verte .
Une lumière jaune vient du haut d’un soupirail, en passant par
les insterstices d’un volet de bois au planches disjointes , et comme
tous les étés, vers midi, elle éclaire la rangée entamée de bouteilles
de Bordeaux alignées sur le casier métallique.
Les bouteilles ont beaucoup voyagé entre un sous-sol de province,
un box en banlieue parisienne , une pièce fraiche orientée au nord dans
une petite ville de la Forêt Noire, et même quelque temps dans un
garage, protégées par une armoire de conservation high-tech réglée sur
11°.
Elles ont dernièrement élu domicile sous cette grande maison
dans un hameau perdu dans la campagne . Elle ont maintenant presque
atteint 20 ans d’âge. La robe du vin a pris des nuances légèrement
tuilée, et sur certaines l’étiquette commence à se décoller.
La
plupart des bouteilles ont déjà été vidées lors d’évènements
importants, où dans des circonstances fortuites : deux soirées de
deuils, quelques revues de chantier, une fête de voisinage, trois
déménagements , une demi douzaine de fêtes de famille.
Le reste du
lot a pris la poussière, couche après couche Les araignées ont
accumulé leur toiles entre les montants du casier, et personne ne vient
plus piocher dedans, comme si les propriétaires des lieux voulaient
oublier jusqu’à leur existence, ou espéraient ne plus jamais
avoir à descendre dans la cave pour les déboucher en sa présence..
L'homme est endormi là , derrière le mur, tapi dans l’ombre,
immobile, presque serein . Son cœur bat en sourdine comme pour ne pas
déranger le repos des bouteilles, tandis qu’au dessus du plafond de
briques, dans la maison, il perçoit les bruits sourds d’une vie qui
semble continuer.
Dehors, à intervalles réguliers, on entend ,
comme le son d'une flute plaintive, le cri d’un crapaud accoucheur. Il
rythme, doucement, le poids grandissant de l’oubli dans l’été qui
finit.
A un moment, il entrouvre les volets.
Dehors comme une couverture de toile rêche piquée par dessus un manteau de laine grossière, est planté un paysage d’automne, jaune et brun, un paysage vespéral plongeant vers l’heure bleue ,avec ses nuages en forme de fruits trop mûrs,.
Au loin, il entend les derniers vols de grues à le recherche de courants ascendant pour faciliter leur migration vers le sud. Pendant un instant, il y a une hésitation et le soleil jaune et bas, la lune gibbeuse et la multitude des galaxies disparaissent derrière l’obscurité.
Puis une étoile se rallume, elle reste fixe dans le ciel et son terne éclat n’indique aucune direction à suivre.
Il lui semble que son coeur se met à genoux. Il verrouille le volet, en pensant:
«Et moi, j'attends ici ceux qui ne reviendront pas.»
Textes courts , récits, haïkus, greguerias, récents ou plus anciens, inédits...ou pas. Parution irrégulière selon l'humeur du moment... mais 100% Copyright Géo Daszner. Abonnez vous ci-dessous pour recevoir les parutions par mail, ou suivez moi sur twitter @geodaszner.
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je l’ai vu et je ne l’ai pas vu le cri du soleil de cuivre allumé à contre-jour dans le ciel liquide toi éblouie près des bido...
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